Le Quotidien du 20 décembre 2024

Le Quotidien

Droit pénal spécial

[Brèves] A conscience du défaut de consentement l’individu qui commet des attouchements lorsque la victime est endormie et les poursuit alors qu’elle est en état de sidération

Réf. : Cass. crim., 11 septembre 2024, n° 23-86.657, F-B N° Lexbase : A53365YB

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N0295B3C

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par Pauline Le Guen

Le 19 Décembre 2024

► La Chambre criminelle souligne que commet une agression sexuelle par surprise l’individu qui procède à des attouchements sur une personne endormie, puis les poursuit alors que celle-ci se trouve dans un état de prostration ; de tels agissements établissent ainsi la connaissance par l’agresseur du défaut de consentement. 

Rappel des faits et de la procédure. Un homme est renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef d’agression sexuelle sur sa nièce, où il est relaxé. Le ministère public relève alors appel de cette décision. 

En cause d’appel. La cour d’appel a condamné l’individu du chef susvisé. Il a alors formé un pourvoi contre cet arrêt. 

Moyens du pourvoi. Il est fait grief à l’arrêt de déclarer le prévenu coupable alors que la cour d’appel n’a fait qu’établir que la victime n’était pas consentante, et non si le prévenu avait eu conscience de cette absence de consentement, de sorte qu’elle aurait violé les dispositions de l’article 222-22 du Code pénal N° Lexbase : L2618L4Q.

Décision. La Chambre criminelle rejette le pourvoi. En effet, elle retient dans un premier temps que la cour d’appel a relevé que la victime dormait lors des faits, puis avait été réveillée par les attouchements et s’était trouvée dans un état de prostration, pendant que son oncle, âgé de 20 ans de plus qu’elle, poursuivait ses agissements. La victime avait par ailleurs toujours soutenu qu’elle n’avait jamais consenti aux gestes de son oncle, qui ne s’était jamais assuré du consentement de la jeune femme. 

En se déterminant ainsi, les juges ont parfaitement établi que le prévenu avait agi par surprise, en procédant à des attouchements sur sa nièce lors de son sommeil, et qu’il avait poursuivi alors que celle-ci, réveillée par les gestes, s’était trouvée dans un état de sidération, ce qui établit que l’homme avait agi en toute connaissance du défaut de consentement de la victime. 

Pour aller plus loin : C. Hardouin-Le Goff et M. Dayan, ÉTUDE, Les agressions sexuelles autres que le violin Droit pénal spécial (dir. J.-B. Perrier ), Lexbase N° Lexbase : E1072034

newsid:490295

Baux d'habitation

[Jurisprudence] Location meublée et contrat d’adhésion : attention aux clauses abusives entre particuliers !

Réf. : TJ Bonneville, 18 septembre 2024, n° 22/00781 N° Lexbase : A99216B3

Lecture: 13 min

N1171B3R

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par Julien Laurent, Professeur à l'Université de Toulouse Capitole, Agrégé des facultés, Centre IEJUC

Le 19 Décembre 2024

Mots-clés : location meublée saisonnière • clauses abusives • contrat d’adhésion • limitation du nombre d’occupants • visite au domicile • ménage • état des lieux • acceptation sans réserve • domotique • visite du propriétaire • préjudice de jouissance • atteinte à la vie privée • dispositif anti-abus

Sont jugées abusives et dès lors réputées non écrites, les clauses suivantes d’un contrat de bail meublé saisonnier, qualifié de contrat d’adhésion :

  • la clause limitant le nombre de personnes qui peuvent être hébergées par les locataires et qui donne arbitrairement la possibilité aux propriétaires d’accepter ou de refuser des couchages supplémentaires ;
  • la clause interdisant aux locataires toute visite au domicile qu’ils ont loué ;
  • la clause imposant une servitude de ménage sans possibilité de refus et à des horaires non aménageables, ni négociables ;
  • la clause d’état des lieux imposant aux locataires d’accepter « sans réserve », avant la prise de possession de la location et sans possibilité de vérification, l’état des lieux communiqué par le propriétaire ;
  • la clause interdisant l’accès général à la domotique ;
  • la clause imposant aux locataires d’accepter la visite du propriétaire, sans aucun motif, sans possibilité de refus, sans préavis, ni limitation de fréquence.

 

C’est une affaire peu courante – nous l’espérons – que rapporte ce jugement du tribunal judiciaire de Bonneville, à propos d’une location meublée de chalet, qui démontre l’utilité du dispositif de lutte, en droit commun, contre les clauses abusives, tel qu’il résulte des articles 1110 N° Lexbase : L1974LKC et 1171 N° Lexbase : L1981LKL du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK (et de la loi de ratification du 18 avril 2018 N° Lexbase : L0250LKH).

En l’espèce, un couple avait loué à une famille de vacanciers, durant les congés d’hiver, par contrat de bail meublé saisonnier, un chalet en Savoie. Le litige concernait principalement – entre autres reproches – l’application d’une clause du contrat interdisant la présence de « tout visiteur » et de « toute personne supplémentaire » sans l’accord du bailleur, pendant la durée du séjour, sous peine de « rupture immédiate du contrat ». Or, les locataires avaient invité, pour fêter le réveillon, notamment leurs parents, déclenchant l’ire du bailleur et, en cascade, toute une série de clauses du contrat dont celle de résiliation immédiate. Le problème était que les bailleurs avaient été alertés sur la présence des intrus via le système de surveillance dont ils s’étaient servis, photographies à l’appui, pour espionner les locataires et leurs invités…

Sur quoi les locataires assignèrent les bailleurs, pour diverses demandes et préjudices. Outre l’atteinte à leur vie privée (incontestable et d’ailleurs condamnée par le tribunal) et quelques manquements contractuels plus véniels (arrivée en retard du bailleur lors du check-out, restitution de la « caution »), la principale demande concernait la neutralisation de toute une série de clauses contractuelles, relativement usuelles, dont celle sur les visiteurs et invités, sur lesquelles l’attention du tribunal devait se porter : étaient-elles des clauses abusives ou non ?

Droit applicable. Une première question concernait le texte applicable : le contrat de location meublée relevait-il du droit commun du contrat d’adhésion, issu du Code civil, ou de l’article L. 212-1 du Code de la consommation N° Lexbase : L3278K9B ? On se souvient, en effet, que, depuis un important arrêt du 26 janvier 2022, la Cour de cassation considère qu'« il ressort des travaux parlementaires de la loi du 20 avril 2018 ratifiant ladite ordonnance, que l'intention du législateur était que l'article 1171 du Code civil, qui régit le droit commun des contrats, sanctionne les clauses abusives dans les contrats ne relevant pas des dispositions spéciales des articles L. 442-6 du Code de commerce N° Lexbase : L0496LQG et L. 212-1 du Code de la consommation » [1]. Autrement dit, ce n’est qu’à la condition que le contrat ne relève pas des dispositions spéciales du Code de commerce ou du Code de la consommation sur le déséquilibre significatif, qu’il sera soumis à l'article 1171 du Code civil.

En l’espèce, le tribunal rappelle qu’aux termes de l’article liminaire du Code de la consommation N° Lexbase : Z64063WK, est un professionnel « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel ». Il rappelle en outre que les loueurs en meublé professionnel (LMP) bénéficient d'un régime particulier, prévu à l'article 155, IV, 2° N° Lexbase : L6174LU9 du Code général des impôts, qui fixe trois conditions pour leur conférer cette qualité :

  • l'inscription de l'un des propriétaires au RCS ;
  • des recettes provenant de l'activité de location supérieures à 23 000 euros ;
  • des recettes excédant les revenus nets professionnels du foyer fiscal, pour en déduire que les bailleurs n’avaient pas la qualité de professionnels. Quoi qu’il en soit, la qualification de potentiel contrat d’adhésion (c’est-à-dire relevant du domaine de l’article 1110 N° Lexbase : L1974LKC du Code civil) doit être approuvée ; au demeurant, c’est précisément le contrat type Airbnb que le Gouvernement avait donné en exemple en introduisant le dispositif.

Qualification de contrat d’adhésion. Aux termes de l’article 1110 du Code civil « Le contrat d'adhésion est celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l'avance par l'une des parties. ».

S’agissant des deux critères exigés par la loi de la détermination à l’avance et du caractère non négociable, pour le tribunal, résultait « clairement » de la mention selon laquelle : « le locataire reconnaît avoir pris connaissance de toutes les conditions de ce contrat ferme et définitif sans aucune clause d’annulation possible et de les accepter sans aucune réserve ni restriction avant de prendre contact pour réserver avec le propriétaire et ne pourra pas ensuite dire qu’il ne connaissait pas toutes les clauses en cas de litige ». Comme le relève d’ailleurs le jugement, on sait qu’il ne suffit pas que les clauses n’aient pas été négociées, il faut démontrer en outre qu’elles ne pouvaient pas l’être. Il est clair à ce titre que la formulation de « ferme et définitif » ainsi que celle précisant que le locataire est tenu d’« accepter sans aucune réserve ni restriction avant de prendre contact [nous soulignons] » avec le propriétaire, peut être interprétée comme manifestant effectivement la volonté du bailleur donc de rendre « non négociables » un ensemble de (ou les) clauses du contrat, lesquelles étaient déterminées – ce point n’était pas discuté – à l’avance par le bailleur uniquement.

Clauses abusives. La qualification de contrat d’adhésion étant établie, il restait à examiner les clauses y figurant, pour vérifier si elles créaient, ou non, un déséquilibre significatif, au sens de l’article 1171 du Code civil N° Lexbase : L1981LKL. Deux éléments sont exigés : la clause visée doit faire partie de celles qui étaient non négociables ; et elle doit créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Toutes les clauses visées faisant partie d’un bloc non négociable, seul le second critère faisait débat.

L’expression de déséquilibre significatif, on le sait, est directement inspirée du droit de la consommation. Pour rappel, il ne peut porter, ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation » (C. civ., art. 1171, al. 2). L’équilibre financier du contrat (ici le prix) est donc hors contrôle. Le tribunal suit ici un examen, clause par clause, sans tenir compte de l’équilibre global du contrat comme cela avait été avancé par la doctrine [2]. Les critères sont en principe un défaut de réciprocité des droits, le caractère arbitraire des prérogatives octroyées ou encore des restrictions unilatérales imposées à l’adhérent.

En l’occurrence, on plonge dans la méthode du juge qui commence opportunément par rappeler l’objet du contrat de location : le fait que le locataire a le droit de jouir « paisiblement des lieux » et, ajoute le tribunal, dans le respect de « sa vie privée et familiale ». Plus précisément, on ajouterait volontiers que le contrat de location emporte, pour le bailleur, la garantie de la jouissance paisible du bien loué ; pour le locataire, le droit d’user de la chose louée raisonnablement suivant la destination donnée au bail (ici l’habitation). C’est donc à l’aune de ce « noyau dur » que le jugement entreprend de déterminer si les clauses visées créent un déséquilibre significatif. Le juge aura pu d’ailleurs peut-être s’inspirer – mutatis mutandis car il ne s’agit pas d’une résidence principale – de l’article 4 de la loi du 6 juillet 1989 N° Lexbase : L8461AGH qui répute abusive toute une série de clauses dans le contrat de location d’habitation.

  • La principale clause litigieuse prévoyait que « que le prix du loyer charges compris, est fait en fonction du nombre de personnes (maximum 10 personnes) et donc que toute personne supplémentaire n’est pas autorisée sans l’accord des propriétaires sous peine de rupture immédiat(e) du contrat (...) et à quitter les lieux avec une somme forfaitaire à payer aux propriétaires d’un montant de six cents euros/pers./semaine. ».

Selon le tribunal, cette clause revenait à interdire à toute personne inconnue du bailleur ou encore non prévue sur le bail, de séjourner dans le chalet. Or, insiste le jugement, d’une part, le locataire est en droit de compter sur le nombre de couchages prévu (ici dix), peu important le nombre d’occupants indiqué lors de la réservation. D’autre part, le locataire qui a droit au respect de sa vie privée et qui est libre de jouir paisiblement des locaux loués est autorisé à en faire bénéficier toute personne susceptible de partager sa vie en raison de liens de parenté et d'alliance. Il en va de même, pour le même motif, de la clause prévoyant que « tout visiteur est interdit ». Cette disposition fait partie des prérogatives arbitraires et rappelle d’ailleurs, d’une part, la clause abusive visée à l’article 4, n°) de la loi du 6 juillet 1989 et d’autre part, celle à l’article 4, g°), qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat en cas d'inexécution des obligations du locataire pour un motif autre que le non-paiement du loyer, des charges, du dépôt de garantie, la non-souscription d'une assurance des risques locatifs ou le non-respect de l'obligation d'user paisiblement des locaux loués, résultant de troubles de voisinage constatés par une décision de justice passée en force de chose jugée.

Cette clause crée donc un déséquilibre significatif entre les parties et est donc réputée non écrite.

  • Une autre clause prévoyait : « ménage obligatoire quotidien, deux heures, tous les jours pour l’entretien de la location (ménage), en plus des heures d’entrée et de sortie. La femme de ménage peut changer d’horaire en fonction de son planning et les locataires ne peuvent pas imposer un horaire ni refuser sa venue ». Pour le tribunal, cette clause qui impose aux locataires un ménage quotidien, pendant deux heures, « alors même que la nécessité d’une telle prestation quotidienne n’est aucunement justifiée, ne saurait résulter du seul fait que le chalet est de grand standing et a été livré très récemment ou encore des seules exigences des bailleurs, à des horaires non négociables et variables, alors même que les locataires ont droit au respect de leur vie privée et familiale et qu’ils sont libres de jouir paisiblement des - locaux, créé un déséquilibre significatif entre les parties ».
  • De même, une autre clause prévoyait que « le preneur ne pourra s’opposer à la visite des locaux si le bailleur ou son mandataire en font la demande ».

Ces deux clauses contreviennent à la jouissance paisible du preneur (art. 1728 N° Lexbase : L9302I3W du Code civil) et porte atteinte à sa vie privée [3]. Leur caractère déséquilibré tient dans leur caractère unilatéral et arbitraire des visites (dans le choix des horaires) et rappellent la clause abusive visée à l’article 4, a°), de la loi du 6 juillet 1989.

  • Également la clause relative à l’état des lieux d’entrée : « inventaire des biens et état des lieux du chalet fournis en annexe et dont le locataire reconnaît avoir pris connaissance et accepté sans réserve (prévenir immédiatement le propriétaire de toute casse afin qu’il fasse le nécessaire) et prendre la location en ordre très propre et sans aucune réserve ».

Cette clause crée à l’évidence un déséquilibre significatif entre les parties dès lors qu’elle revient pour le locataire à reconnaître qu’il a reçu le bien en parfait état, y compris pour des désordres qui seraient antérieurs à son occupation des locaux, est également réputée non écrite.

  • Enfin, les clauses qui interdisent de toucher aux systèmes de surveillance extérieure ainsi qu’à l’alarme et toute autre automatisme et domotique dans tout le chalet et à tous les appareils programmés, créent également un déséquilibre significatif entre les parties, s’agissant de l’interdiction, ne serait-ce que de moduler le chauffage à l’intérieur du chalet, les bailleurs n’ayant aucun droit d’imposer la température des lieux.

Le tribunal juge ainsi que les clauses suivantes créent un déséquilibre significatif et doivent, en application de l’article 1171, être réputées non écrites :

  • « le prix du loyer charges comprises, est fait en fonction du nombre de personnes (maximum 10 personnes) et donc que toute personne supplémentaire n’est pas autorisée sans l’accord des propriétaires sous peine de rupture immédiat(e) du contrat [...] et à quitter les lieux avec une somme forfaitaire à payer aux propriétaires d’un montant de six cent[s] euros/pers./semaine. » ;
  • « tout visiteur est interdit ».-« ménage obligatoire quotidien, deux heures, tous les jours pour l’entretien de la location (ménage), en plus des heures d’entrée et de sortie. La femme de ménage peut changer d’horaire en fonction de son planning et les locataires ne peuvent pas imposer un horaire ni refuser sa venue » ;
  • « inventaire des biens et état des lieux du chalet fournis en annexe et dont le locataire reconnaît avoir pris connaissance et accepté sans réserve (prévenir immédiatement le propriétaire de toute casse afin qu’il fasse le nécessaire) et prendre la location en ordre très propre et sans aucune réserve » ;
  • « il est interdit de toucher aux systèmes de surveillance extérieure ainsi qu’à l’alarme et tout autre automatisme et domotique dans tout le chalet »,- « tous les appareils programmés ne doivent pas être touchés, en aucun cas, seul un professionnel peut le faire » ;
  • « le preneur ne pourra s’opposer à la visite des locaux si le bailleur ou son mandataire en font la demande ».

Les bailleurs sont en conséquence condamnés à indemniser tous les locataires de leur préjudice de jouissance (dû à la rupture précipitée du contrat) et tous les occupants de leur préjudice moral pour atteinte à leur vie privée.

Attention à la rédaction ! En conclusion, le jugement offre un panorama fort éclairant des clauses interdites en location qui évoque le dispositif anti-abus de la loi du 6 juillet 1989. Il rappelle utilement que les rédacteurs particuliers de contrat de location meublée doivent se garder de truffer leurs contrats de clauses qui, visant totalement à corseter la jouissance du preneur et à le mettre littéralement sous surveillance (l’atteinte à la vie privée des résidents était évidente), contredisent la jouissance que le bailleur s’oblige pourtant à concéder. Donner et retenir ne vaut en somme !

 

[1] Cass. com., 26 janvier 2022, n° 20-16.782, F-B N° Lexbase : A52937KA : D. 2022. 539, note Tisseyre ; ibid. 725, obs. Ferrier ; ibid. Chron. C. cass. 1419, obs. Bellino; ibid. 2023. 254, obs. Boffa et Mekki ; RTD civ. 2022. 124, obs. Barbier ; RDC 2022/2. 10, note Latina ; ibid. 16, note Stoffel-Munck ; ibid. 2022/2. 103, note Julien ; ibid. 144, note Gerry-Vernières; ibid. 2022/3. 89, note Balat.

[2] F. Terré, Y. Lequette, P. Simler, F. Chénedé, Les obligations, 13e éd., 2022, Dalloz, n° 474.

[3] Rapp. Cass. civ. 3, 25 février 2004, n° 02-18.081, FS-P+B N° Lexbase : A3761DBW : D. 2004. IR 853, avec les obs. ; ibid. Somm. 1631, obs. Caron ; ibid. 2005. Pan. 753, obs. Damas ; AJDI 2004. 370, obs. Rouquet ; Defrénois 2004. 1721, obs. Aubert ; Rev. loyers 2004. 291, obs. Rémy ; Administrer 3/2005. 34, obs. Canu; Loyers et copr. 2004, no 102, obs. Vial-Pedroletti.

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Contrats administratifs

[Conclusions] L'obligation de payer de la personne publique en cas de fraude sur l'identité du cocontractant

Réf. : CE, 2e-7e ch. réunies, 21 octobre 2024, n° 487929, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A70146BE

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N0819B3Q

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par Nicolas Labrune, rapporteur public au Conseil d'État

Le 19 Décembre 2024

Mots clés : marchés et contrats administratifs • exécution financière du contrat • règlement des marchés • fraude • fautes du cocontractant

En cas de fraude sur l'identité du cocontractant ayant conduit au détournement des paiements de la personne publique, celle-ci ne peut se soustraire à l’obligation de payer, mais peut ensuite invoquer des fautes du cocontractant pour rechercher sa responsabilité. Lexbase Public vous propose de retrouver les conclusions de Nicolas Labrune, rapporteur public au Conseil d'État.


 

Le 9 avril 2019, le Grand port maritime de Bordeaux a conclu avec la société X un marché en vue de la fourniture et de la mise en service d’une grue à tour sur portique sur le site du pôle naval de Bassens, pour un montant total de plus de 1,7 million d’euros. L’article 5.4 du cahier des clauses administratives particulières du marché prévoyait, après paiement d’un acompte de 20 %, un calendrier de paiement échelonné sur cinq situations. Mais seul le premier acompte a effectivement été perçu par la société. En effet, pour les suivants, le Grand port maritime a bien procédé aux versements prévus, mais il l’a fait sur un compte bancaire frauduleux, qui lui avait été présenté comme celui de la société par un escroc, lequel avait, au préalable, trompé des collaborateurs de la société L. de façon à obtenir de leur part des informations sur le marché et sur ses conditions administratives et financières d’exécution. Une fois l’usurpation d’identité révélée, le Grand port maritime a refusé de procéder à tout nouveau paiement au profit de la société, estimant que les versements auxquels il avait procédé étaient libératoires. La société s’est alors tournée vers le tribunal administratif de Bordeaux qui, par un jugement du 29 mars 2021, lui a donné raison et a condamné le Grand port maritime à lui verser les sommes litigieuses augmentées des intérêts moratoires avec capitalisation. Et, la cour administrative d’appel de Bordeaux ayant rejeté son appel contre ce jugement, par un arrêt du 4 juillet 2023, le Grand port maritime s’est pourvu en cassation devant vous.

Vous écarterez sans peine son premier moyen, dont aucune des trois branches n’est fondée. La cour n’a assurément commis aucune erreur de droit en jugeant que l’apparition d’un différend au sens de l’article 42.2 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés industriels résultait en principe « d’une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l’acheteur et faisant apparaître le désaccord » : elle n’a fait là que reprendre les motifs de votre décision « EPLD » du 22 novembre 2019 [1]. Et, nous ne croyons pas que la cour ait dénaturé le courrier du 11 mars 2020 du Grand port maritime en estimant qu’il constituait un refus de faire droit à la demande de paiement présentée par la société et qu’un différend était donc né de ce refus. De même, c’est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour a jugé que le courrier adressé par la société au Grand port maritime le 30 mars 2020 exposait les motifs du désaccord et indiquait le montant des sommes réclamées. Et, dès lors, la cour pouvait en déduire sans erreur de droit, comme vous l’avez fait dans votre décision « Société R. » du 28 décembre 2001 [2] que ce courrier du 30 mars 2020 constituait une lettre de réclamation au sens des stipulations de l’article 42.2 du CCAG applicable, et ce d’autant plus que le CCAG « Marchés industriels » est beaucoup moins exigeant que le CCAG « Travaux » sur le contenu de la réclamation, son article 42 n’exigeant pas du titulaire du marché qu’il fournisse les justifications correspondant aux montants réclamés.

C’est le deuxième moyen du pourvoi qui pose une question inédite et qui a justifié que l’affaire soit portée devant votre formation de jugement. Le Grand port maritime reproche en effet à la cour d’avoir commis une erreur de droit en jugeant qu’il ne pouvait « en tout état de cause » se prévaloir de l’article 1342-3 du Code civil N° Lexbase : L0676KZ3, aux termes duquel « Le paiement fait de bonne foi à un créancier apparent est valable ». Il soutient à ce propos que les dispositions de cet article 1342-3 du Code civil sont applicables devant le juge administratif, en matière d’exécution contractuelle, et ce y compris en cas de fraude et d’usurpation d’identité, si bien que ses paiements aux escrocs auraient dû être regardés comme libératoires par la cour.

Précisons à titre liminaire que ce moyen de cassation est opérant, contrairement à ce qui est soutenu en défense. Il est vrai que la cour a assorti d’un « en tout état de cause » son affirmation selon laquelle le Grand port maritime ne pouvait se prévaloir de l’article 1342-3 du Code civil : elle a ainsi manifesté ses doutes quant à la possibilité d’importer cet article dans le champ du droit administratif et, sans se prononcer sur cette question, a préféré juger qu’un escroc n’était de toute façon pas un créancier apparent. Mais, pour autant, ces motifs, quoiqu’introduits par un « en tout état de cause », constituent un soutien nécessaire du dispositif de l’arrêt attaqué et ne sont assurément pas surabondants. Le Grand port maritime peut donc bien les contester utilement en cassation.

Venons-en donc au moyen qui critique ces motifs. Celui-ci, tout d’abord, pose la question de savoir si la cour a correctement interprété l’article 1342-3 du Code civil en considérant qu’il n’est pas applicable en cas d’usurpation d’identité frauduleuse. 

Sur ce point, la critique du pourvoi a sans doute pour elle la lettre de cette disposition du Code civil : si l’usurpation d’identité est bien faite, l’escroc peut sembler, du point de vue du débiteur victime de cette usurpation, être le « créancier apparent », et le paiement auquel procède ce débiteur est donc fait « de bonne foi ». 

Mais, pour autant, nous ne pensons pas possible de retenir une telle application extensive de cet article 1342-3 du Code civil : cet article, qui a modernisé l’ancien article 1240, tout en consacrant la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la « théorie de l’apparence » [3] vise avant tout, comme le souligne la doctrine [4], à couvrir les cas où un mandataire excède les limites de son mandat, en agissant hors de son champ ou après son expiration. Mais il n’a pas été écrit pour régler le cas où les apparences sont frauduleuses. 

Et, si vous deviez considérer qu’un escroc constitue un créancier apparent au sens de cet article, du moins lorsque l’escroquerie a été bien faite et que le débiteur n’a pas manqué de vigilance, cela aboutirait à ce que la personne dont l’escroc a usurpé l’identité devienne en quelque sorte l’assureur des victimes de cet escroc. Cela nous paraîtrait d’autant plus choquant que cela exonérerait le débiteur de toute vigilance au moment du paiement et ferait peser sur la personne dont l’identité a été usurpée la charge de la récupération des sommes indument payées à l’escroc alors que le débiteur est en général mieux placé que le créancier pour identifier l’usurpation d’identité et mieux placé également pour produire les éléments permettant de retrouver les auteurs de l’escroquerie et d’en obtenir réparation. Il nous semble donc, au contraire, que les débiteurs de la personne dont on a usurpé l’identité devraient la payer en exécution du contrat conclu, sans qu’entre en ligne de compte le fait qu’elles ont payé l’escroc de bonne foi, à charge pour elles, ensuite, d’obtenir que leur soit restituées les sommes qu’elles auront payées deux fois. 

Nous pensons ainsi que vous pourriez juger en principe qu’il appartient à une personne publique de procéder dans tous les cas au paiement des sommes qu’elle doit en exécution d’un contrat administratif et que cela implique, le cas échéant, dans le cas d’une fraude tenant à l’usurpation de l’identité du cocontractant et ayant pour conséquence le détournement des paiements, que ces derniers soient renouvelés entre les mains du véritable créancier, sans que l’article 1342-3 du Code civil puisse y faire obstacle. La personne publique peut bien sûr en revanche rechercher, outre la responsabilité de l’auteur de la fraude, celle de son cocontractant, à raison des fautes que celui-ci aurait commises en contribuant à la commission de la fraude, afin d’être indemnisée de tout ou partie du préjudice qu’elle a subi en versant les sommes litigieuses à une autre personne que son créancier. Mais cette éventuelle responsabilité du cocontractant de la personne publique est d’une autre nature que le droit d’obtenir le paiement de sa créance qu’il tire du contrat : le fait générateur de cette responsabilité ne réside pas tant dans l’exécution du contrat que dans ceux de ses comportements qui ont permis l’escroquerie. Les éventuelles imprudences commises par le cocontractant de la personne publique ne nous paraissent donc pas pouvoir diminuer en tant que tel son droit au paiement de la créance, quand bien même ce sont ces imprudences qui auraient rendu possible la manœuvre frauduleuse. Elles sont seulement susceptibles d’ouvrir droit à une indemnisation, même si pourraient être envisagées, le cas échéant, des compensations entre les sommes dues à raison de cette indemnisation et celles dues au titre du paiement de la créance contractuelle.

Et vous pourriez d’autant plus facilement consacrer ainsi ces principes que, ce faisant, vous ne feriez que reprendre à votre niveau ce qu’ont déjà jugé précédemment plusieurs cours administratives d’appel. Voyez ainsi un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 10 avril 2018, « EPPD » [5], un arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy du 22 décembre 2022, « Société M. » [6], ainsi qu’un récent arrêt du 26 mars dernier de la cour administrative d’appel de Douai « OPH du département de la Seine-Maritime » [7], ce dernier arrêt ayant été classé en C+ et remarqué par la doctrine [8].

Vous pourriez néanmoins hésiter en constatant que la jurisprudence des cours d’appel judiciaires, loin de rejoindre celle des cours administratives d’appel, est dans le sens du pourvoi. En effet, dans un arrêt du 21 décembre 2023 [9], c’est seulement après avoir vérifié que la victime d’un escroc n’avait pas été suffisamment vigilante en le payant que la cour d’appel de Paris en a déduit qu’il ne s’agissait pas d’un « créancier apparent » au sens de l’article 1342-3 du Code civil et qu’ainsi, la victime n’était pas libérée de sa créance. Et c’est ce même raisonnement qu’a tenu la cour d’appel d’Agen dans un arrêt du 10 janvier dernier [10]. Ainsi, lorsque l’escroquerie est suffisamment bien faite, le véritable créancier en est pour ses frais et la victime de l’escroquerie n’en subit pas les conséquences : voyez à cet égard un arrêt du 25 septembre 2023 de la cour d’appel de Nancy [11] et un arrêt du 21 décembre 2023 de la cour d’appel d’Aix-en-Provence [12] dont les motivations sont explicites. 

La proposition que nous vous avons faite pourrait donc se traduire par une divergence avec la jurisprudence judiciaire, ce qui n’est jamais anodin, surtout lorsqu’il s’agit d’interpréter le Code civil. Mais, pour autant, et dès lors que la Cour de cassation n’a jamais, à ce jour, confirmé la solution retenue par les cours d’appel, il n’est pas évident de faire vôtre cette solution, plutôt que celle des cours administratives d’appel, pour les raisons que nous vous avons exposées.

Vous pourrez toutefois éviter le dilemme et ne pas choisir entre les deux interprétations possibles de l’article 1342-3 du Code civil si vous jugez en amont, comme nous allons vous le proposer, que cet article n’est pas applicable aux administrations. 

À cet égard, la société L., en défense, vous invite à écarter comme inapplicable à l’exécution d’un contrat administratif la théorie du « créancier apparent » de l’article 1342-3 du Code civil par analogie avec la théorie du mandat apparent qui, selon elle, n’est pas applicable à l’exécution d’un tel contrat. Mais la situation, en réalité, nous semble un peu plus compliquée et votre jurisprudence moins engagée que ne le prétend la société.

Il est clair, en effet, que vous ne faites pas jouer la théorie du mandat apparent en matière contractuelle lorsqu’est en cause la façon dont la personne publique a donné son consentement. Le fichage de votre décision de Section du 28 janvier 1977 « Ministre de l’Économie et des Finances c/Sté H. » [13] l’affirme ainsi nettement : « Les questions de répartition des compétences entre des agents de l'administration sont opposables au cocontractant ». 

Mais il est moins évident de savoir si, au contraire, vous appliquez la théorie du mandat apparent lorsque vous devez apprécier la portée de l’acte accompli par une personne privée. Ainsi, vous aviez fait application de cette théorie, en dehors de la matière contractuelle, par une décision « T. » du 4 avril 2005 [14]. Mais vous êtes revenus sur cette jurisprudence, du moins pour ce qui concerne les opérations de contrôle des aides agricoles, compte tenu des exigences formulées par la CJUE, par votre décision « Mme F. » du 5 juillet 2018 [15], de sorte que la portée de ce précédent « T. » est désormais sujette à caution. Et, surtout, vous avez jugé que la théorie du mandat apparent n’était pas applicable pour la formation d’un contrat administratif, dès lors que des dispositions imposent à la personne publique de vérifier que le représentant d'une société est dûment habilité, par les statuts ou par un mandat, à signer en son nom un marché [16]. Certes, vous ne vous êtes ainsi prononcés que sur la formation du contrat et pas sur son exécution, mais il n’en demeure pas moins que vous avez ainsi fortement limité la portée de la théorie du mandat apparent en matière contractuelle.

L’argument de la société L. ne manque donc pas de poids. Mais il n’est pas décisif et ce sont, finalement, d’autres considérations, relatives aux spécificités de la dépense publique, qui nous font pencher en faveur de l’inapplicabilité aux personnes publiques de l’article 1342-3 du Code civil. 

À ce propos, rappelons tout d’abord que depuis l’arrêt d’assemblée plénière du 13 décembre 1962, par lequel la Cour de cassation a consacré la théorie du mandat apparent, le mandant « peut certes « être engagé sur le fondement d’un mandat apparent », mais uniquement « si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs [du mandataire apparent] est légitime » ce qui suppose « que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs » [17]. La jurisprudence judiciaire est d’ailleurs en ce sens qu’un éventuel mandat apparent ne peut tenir en échec les règles qui imposent un formalisme particulier ou une obligation de vérification particulière [18].

Or, lorsqu’une personne publique effectue un paiement, elle doit toujours, en principe, vérifier la régularité de ce paiement. C’est le sens des obligations que le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012, relatif à la gestion budgétaire et comptable publique N° Lexbase : L3961IUA, met à la charge des ordonnateurs et, surtout, des comptables publics. Nous pensons donc que les dispositions de ce décret interdisent qu’une personne publique puisse procéder à un paiement sur la base des seules apparences : puisqu’elle n’est jamais autorisée à ne pas vérifier au-delà des apparences, elle ne saurait légitimement croire ces apparences. Le décret du 7 novembre 2012 nous semble donc faire obstacle à ce que vous importiez en droit administratif la notion même de créancier apparent qu’institue l’article 1342-3 du Code civil. 

Dans le même sens, nous observons que la façon dont une obligation de la personne publique s’éteint par le paiement est prévue par ce décret, notamment par son article 36 aux termes duquel « Le paiement est libératoire lorsqu'il est fait au profit du créancier ou de son représentant qualifié. Les cas dans lesquels il peut être fait entre les mains d'une autre personne sont fixés par décret pris sur rapport du ministre chargé du Budget ». Et, de façon significative, alors que certains articles de ce décret renvoient aux dispositions du Code civil [19], tel n’est pas le cas en ce qui concerne le caractère libératoire du paiement. Nous croyons donc qu’il n’y a pas place, en la matière, pour l’application des dispositions du Code civil. 

Au total, nous pensons donc, vous l’avez compris, que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le Grand port maritime ne pouvait se prévaloir de l’article 1342-3 du Code civil, à titre principal parce que cet article n’est pas applicable devant vous, à titre subsidiaire parce que, même s’il l’était, il ne couvrirait pas les cas d’usurpation d’identité frauduleuse. Et, par ailleurs, pour les raisons que nous vous avons exposées tout à l’heure, le Grand port maritime ne peut utilement faire valoir, s’agissant de son obligation de payer les sommes qu’il doit au titre du contrat, que la cour aurait dénaturé les pièces du dossier en refusant de prendre en compte les fautes commises par la société L.. Si vous nous suivez, vous écarterez donc le deuxième moyen du pourvoi.

Et, vous écarterez aussi, pour finir, le dernier moyen du pourvoi, par lequel le Grand port maritime invoque votre célèbre jurisprudence « M.» [20]. En effet, le port ne conteste pas l’existence à son encontre de la créance contractuelle de la société X. Et, si vous nous avez suivi pour considérer que le port n’a pas été libéré de son obligation de paiement en versant les sommes dues à l’auteur de l’escroquerie dont il a été victime, alors il n’a pas été condamné à verser une somme qu’il ne doit pas, mais à verser une somme qu’il devait contractuellement. La cour n’a donc pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’il n’était pas fondé à invoquer le principe suivant lequel une personne publique ne peut être condamnée à verser une somme qu’elle ne doit pas.

Par ces motifs nous concluons :

  • au rejet du pourvoi ;
  • et à ce que vous mettiez à la charge du Grand port maritime de Bordeaux la somme de 3 000 euros à verser à la société X au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L1303MAI.
 

[1] CE, 22 novembre 2019, n° 417752 N° Lexbase : A4879Z34, aux Tables sur ce point quoiqu’à propos du CCAG « Fournitures courantes ».

[2] CE, 28 décembre 2001, n° 216642 N° Lexbase : A9700AXK, T. pp. 1043-1162.

[3] Voir à ce propos le rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations N° Lexbase : L4857KYK.

[4] Voir par exemple S. Benilsi, Paiement, Répertoire de droit civil, ed. Dalloz.

[5] CAA Paris, 6ème ch., 10 avril 2018, n° 17PA03697 N° Lexbase : A6466XL3.

[6] CAA Nancy, 22 décembre 2022, n° 20NC02692 N° Lexbase : A2925844.

[7] CAA Douai, 26 mars 2024, n° 22DA01355 N° Lexbase : A85182XR.

[8] Voir le commentaire de l’arrêt par J. Dietenhoeffer, Obligation de paiement de l’acheteur à la suite d’une fraude à la facture, dans Contrats et Marchés publics n° 7, juillet 2024, comm. 184.

[9] CA Paris, pôle 4, ch. 10, 21 décembre 2023, n° 20/16722 N° Lexbase : A18042BG.

[10] CA Agen, 10 janvier 2024, n° 22/00844 N° Lexbase : A51582HI.

[11] CA Nancy, 25 septembre 2023, n° 22/02049 N° Lexbase : A8963174.

[12] CA Aix-en-Provence, 21 décembre 2023, n° 20/07539 N° Lexbase : A71792A7.

[13] CE Contentieux, 28 janvier 1977, n° 99449 N° Lexbase : A8854B8G, p. 50.

[14] CE, 4 avril 2005, n° 257579 N° Lexbase : A8428DHM, T. pp. 730-1071.

[15] CE, 5 juillet 2018, n° 407084, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1720XWM, T. pp. 545- 596.

[16] CE, 17 décembre 2008, n°282178 N° Lexbase : A8790EB8, T. p. 809.

[17] Nous citons là l’arrêt fondateur de la Cour de cassation.

[18] En ce qui concerne les exigences formelles relatives au mandat, v. Cass. civ. 1, 31 janvier 2008, n° 05-15.774 N° Lexbase : A5980D4A, publié au bulletin à propos d’un mandat portant sur une transaction immobilière ou Cass. civ. 1,, 6 janvier 1994, n° 91-22.117 N° Lexbase : A6007AHX, publié au bullletin, et Cass. civ. 1, 5 juin 2008, n° 04-16.368, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9205D8G, publié au bulletin à propos d’un mandat de gestion immobilière. Et, en ce qui concerne les obligations de vérification devant lesquelles cèdent les apparences, voyez Cass. civ. 1, 5 novembre 2009, n° 08-18.056, F-P+B N° Lexbase : A8114EMH, publié au bulletin et Cass. civ. 1, 20 mars 2013, n° 12-11.567, F-P+B+I N° Lexbase : A5887KAB, publié au bulletin, qui jugent que le mandat apparent ne peut être admis pour l'établissement d'un acte par un notaire instrumentaire avec le concours d'un confrère, les deux officiers publics étant tenus de procéder à la vérification de leurs pouvoirs respectifs.

[19] Par exemple les articles 39 ou 40 du décret.

[20] CE, Sect., 19 mars 1971, n° 79962 N° Lexbase : A2915B8H, p. 235.

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Sociétés

[Brèves] Point de départ de la prescription de l’action en responsabilité civile du CAC

Réf. : Cass. com., 27 novembre 2024, n° 23-14.208, F-D N° Lexbase : A69526KP

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par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), Avocat associé CMS Francis Lefebvre

Le 20 Décembre 2024

Mots-clés : commissaire aux comptes • action en responsabilité • prescription • point de départ • procédure collective

La prescription triennale de l'action en responsabilité exercée contre un commissaire aux comptes court à compter du fait dommageable, lequel ne peut résulter que de la certification des comptes à laquelle il a procédé, l'ouverture d'une procédure collective étant sans effet sur le point de départ de la prescription. Par ailleurs, ce n'est que lorsque le commissaire aux comptes a eu la volonté de dissimuler des faits dont il a eu connaissance à l'occasion de la certification des comptes que la prescription court à compter de la révélation du fait dommageable.


 

1. Rappel du cadre légal de la prescription de l’action en responsabilité civile du CAC. Le commissaire aux comptes (CAC) voit la prescription relative à l’action en responsabilité civile dont il est la cible définie par renvoi à une disposition relative aux dirigeants de la SA à conseil d’administration [1], l’article L. 225-254 du Code de commerce N° Lexbase : L6125AIP, aux termes duquel « l'action en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général, tant sociale qu'individuelle, se prescrit par trois ans, à compter du fait dommageable ou s'il a été dissimulé, de sa révélation. Toutefois, lorsque le fait est qualifié [de] crime, l'action se prescrit par dix ans ». Aux termes de cette disposition, le point de départ est donc le fait dommageable engageant la responsabilité civile du CAC, le report de ce point de départ étant toutefois possible dans l’hypothèse où le fait dommageable a été dissimulé.

2. Présentation de la décision et du litige. L’arrêt rendu le 27 novembre 2024 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, non publié au Bulletin, concernait une société ITNF qui avait eu pour commissaire aux comptes, à compter de 2011, la société HCA, au sein de laquelle exerçait M. [O]. Le 8 août 2018, ITNF se voyait placée en redressement judiciaire, converti en liquidation judiciaire le 8 octobre suivant. Un rapport d'expertise comptable privé, dressé en mai 2018, avait révélé une « possible insincérité des comptes sociaux pour les exercices 2014 à 2016 », selon les termes de l’arrêt. Une expertise judiciaire était ordonnée en conséquence le 25 septembre 2018. Quelques semaines auparavant, le 6 septembre 2018, la société HCA, qui avait certifié en dernier lieu l'exercice 2016, le 23 juin 2017, avait adressé un signalement au procureur de la République. Près de trois ans après l’ouverture du redressement judiciaire, précisément le 3 août 2021, le liquidateur judiciaire assignait la société HCA et M. [O] en responsabilité civile professionnelle. Son action était cependant déclarée prescrite, ce qui le conduisait à former un pourvoi en cassation, qui est rejeté par la décision commentée. La Cour de cassation rappelle à cette occasion quatre éléments de solution distincts.

3. (1) Point de départ : le jour du fait dommageable. Le texte de l’article L. 225-254 du Code de commerce est clair sur ce point et fait démarrer la prescription triennale au jour du fait dommageable. Le demandeur au pourvoi plaidait cependant que le point de départ devait être situé au « jour où le fait dommageable a pu être constaté dans des conditions permettant à la victime d'exercer l'action en responsabilité », ce qui ne convainc pas la Cour de cassation. La jurisprudence a parfois été tentée de retarder le point de départ de la prescription à une date à laquelle la victime se trouvait effectivement en mesure d’agir. Cette solution, autrefois retenue en matière de CAC [2], l’est encore s’agissant de mettre en cause la responsabilité civile d’un expert-comptable [3]. Mais au-delà de la lettre claire de l’article L. 225-254, plusieurs arrêts de la Cour de cassation l’ont depuis longtemps écartée à propos de la responsabilité des CAC [4]. Disons-le néanmoins : le point de départ retenu, associé à la prescription triennale, contribue sans doute à rendre peu fréquent l’exercice de l’action en responsabilité visant le CAC.

4. (2) Jour du fait dommageable : la certification des comptes. La décision commentée, après avoir rappelé la nécessité de constater le fait dommageable engageant la responsabilité du CAC, juge que ce fait « ne peut résulter que de la certification des comptes à laquelle il a procédé ». La formule, déjà présente dans des décisions antérieures [5], est excessivement restrictive en ce qu’elle semble exclure à la lettre que le CAC puisse engager sa responsabilité autrement qu’en procédant à la certification des comptes. Or, il existe de nombreuses autres hypothèses de fait dommageable – que l’on pense simplement à l’exercice tardif du devoir d’alerte du CAC. Disons que la formule retenue a toutefois le mérite d’exprimer une solution claire dans l’hypothèse – sans doute la plus fréquente en pratique – où la responsabilité de l’auditeur légal est recherchée sur le fondement d’une allégation de négligence ayant conduit à une certification sans qu’il ait interrogé davantage la société contrôlée. Elle est aussi favorable au CAC, en ce qu’elle suppose que le fait que la certification soit viciée par des fautes de négligence devrait apparaître par principe aux victimes éventuelles de ces fautes au jour même de la certification…

5. (3) Absence d’incidence de la procédure collective sur la prescription. Le liquidateur judiciaire, demandeur au pourvoi, plaidait que les juges du fond auraient dû rechercher si le point de départ de la prescription au 27 juin 2017 pouvait être opposé à la collectivité des créanciers, représentée par lui, alors que sa désignation était postérieure. Il invoquait notamment une violation du principe contra non valentem... Mais ainsi qu’elle l’avait déjà jugé à propos de la même question [6], la Cour affirme à nouveau que « l'ouverture d'une procédure collective [est] sans effet sur le point de départ de la prescription ».

6. (4) Report possible du point de départ uniquement en cas de dissimulation. La Cour de cassation juge enfin que « ce n'est que lorsque le commissaire aux comptes a eu la volonté de dissimuler des faits dont il a eu connaissance à l'occasion de la certification des comptes [que la prescription] court à compter de la révélation du fait dommageable ». Là encore, on retrouve une solution déjà affirmée antérieurement, la qualification de dissimulation supposant que soit établie la volonté du CAC de cacher des irrégularités [7]. En l’absence d’une telle volonté, la prise de connaissance tardive du fait dommageable n’affecte pas le jeu de la prescription et n’en reporte pas le point de départ. Dit autrement, la « révélation du fait dommageable » à la date de laquelle peut être retardé le point de départ de la prescription, suppose d’établir de la part du CAC, et de lui seul [8], une volonté de dissimulation ; cette révélation ne se confond pas avec une simple prise.

 

[1] C. com., art. L. 821-38 N° Lexbase : L5473MKW, actuellement applicable. Avant l’ordonnance n° 2023-1142, du 6 décembre 2023 N° Lexbase : L5068MKW, le texte était l’article L. 822-18 du Code de commerce N° Lexbase : L5452MK7.

[2] V. ainsi Cass. com., 3 juillet 1984, n° 82-13.330, publié au Bulletin N° Lexbase : A3759AGC : Rev. sociétés, 1985, p. 422, note B. Bouloc.

[3] Cass. civ. 1, 29 juin 2022, n° 21-10.720, F-B N° Lexbase : A859778W, fixant la date de réalisation du dommage au jour du rejet définitif du recours exercé par le client ayant subi un redressement fiscal – Cass. com., 6 juillet 2022, n° 20-15.190, F-D N° Lexbase : A50498AA : Rev. sociétés, 2022, p. 684, note Th. Bonneau.

[4] V. ainsi Cass. com., 17 décembre 2002, n° 99-21.553, publié N° Lexbase : A4831A4P : Bull. Joly Sociétés, 2003, p. 267, note J.-F. Barbièri – Cass. com., 13 février 2007, n° 03-13.577, F-P+B N° Lexbase : A2053DUL – CA Paris, 9 novembre 2007, RTD com., 2008, p. 138, obs. P. Le Cannu et B. Dondero.

[5] Cass. com., 17 décembre 2002, n° 99-21.553, publié, préc. – Cass. com., 13 février 2007, n° 03-13.577, F-P+B, préc.

[6] Cass. com., 13 février 2007, n° 03-13.577, F-P+B, préc.

[7] Cass. com., 17 décembre 2002, n° 99-21.553, publié, préc. – Cass. com., 11 octobre 2005, n° 03-17.382 N° Lexbase : A0205DL8 : Dr. sociétés, 2006, comm. n° 59, note H. Hovasse.

[8] Il avait été précisé que la dissimulation commise par le dirigeant ne permet pas le report du point de départ de la prescription s’il n’est pas établi que le CAC avait eu « la volonté de cacher des faits dont il aurait eu connaissance par la certification des comptes » (Cass. com., 14 février 2006, n° 04-11.969, F-D N° Lexbase : A9810DMB : Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 897, note J.-F. Barbièri).

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