Le Quotidien du 17 avril 2025

Le Quotidien

Construction

[Observations] De la responsabilité d'un assistant à maîtrise d'ouvrage

Réf. : Cass. civ. 3, 3 avril 2025, n° 23-21.080, F-D N° Lexbase : A41690GI

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N2122B3Y

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J AVOCATS, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 16 Avril 2025

L’assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO) n’est pas débiteur de la responsabilité civile décennale.
Mais sa responsabilité peut être engagée, notamment sur le fondement du droit commun, par exemple au titre du devoir de conseil.

L’assujettissement à la responsabilité civile décennale et à l’obligation d’assurance du maître d’ouvrage délégué ou de l’assistance à maîtrise d’ouvrage donne régulièrement lieu à des débats doctrinaux qui trouvent un écho jurisprudentiel. L’article 1792 du Code civil N° Lexbase : L1920ABQ est pourtant clair en distinguant, d’un côté, les intervenants qui participent à une mission de maîtrise d’ouvrage, de ceux, très nombreux, dont une liste est donnée à l’article 1792-1 N° Lexbase : L1921ABR du même Code, à une mission de construction. La présente espèce est l’occasion d’y revenir.

Des maîtres d’ouvrage ont confié à une société la réalisation de travaux de réfection de façades de leur château, sous la maîtrise d’œuvre d’exécution d’une autre entreprise. Ont également participé à cette opération de construction, une personne en charge de l’établissement du dossier de permis de construire, du contrôle architectural du projet et de l’assistance aux opérations de réception. Une autre personne est intervenue en tant qu’assistant à maîtrise d’ouvrage. Se plaignant de désordres, les maîtres d’ouvrage assignent, après expertise, l’ensemble des intervenants et leurs assureurs en résolution des marchés et aux fins d’indemnisation de leurs préjudices.

S’agissant de l’AMO, la cour d’appel de Paris, dans un arrêt rendu le 1er juillet 2022 (CA Paris, pôle 4, ch. 6, 1er juillet 2022, n° 19/09195 N° Lexbase : A06308AL), le condamne ainsi que son assureur.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. C’est dans le cadre de leur pouvoir souverain d’appréciation que les juges du fond ont relevé que l’AMO avait reçu pour mission d’assister les maîtres d’ouvrage lors de la mise au point et l’exécution du marché pour toutes les questions techniques, notamment en ce qui concerne les matériaux. Ils ont souverainement retenu qu’ayant participé au choix des enduits tant au cours de l’expertise judiciaire ayant précédé les travaux que lors des essais de convenance réalisés, il n’ignorait pas l’importance de la présence de chaux dans la composition du mortier à appliquer pour éviter l’apparition de fissurations. Il a donc manqué à son obligation de conseil en n’alertant pas la maîtrise d’ouvrage lorsque le produit finalement appliqué n’en contenait pas.

Aussi curieux que cela puisse paraître tant le recours à l’assistance à la maîtrise d’ouvrage ainsi qu’à la maîtrise d’ouvrage déléguée est fréquente, ce type de convention est libre. Elle relève du droit commun et du régime de responsabilité y afférent.

Il reste à rappeler que les juges disposent d’un pouvoir de requalification de ces contrats en contrat de construction comme l’autorise expressément le dernier alinéa de l’article 1792-1 précité. Les exemples jurisprudentiels sont nombreux, ces intervenants peuvent être requalifiés d’entreprise, de promoteur et, plus fréquemment, de maître d’œuvre (Pour exemple, Cass. civ. 3, 13 avril 2023, n° 22-11.024, F-D, N° Lexbase : A87669PD).

La situation est un peu mieux encadrée en marchés publics mais les conséquences restent les mêmes (pour exemple, CE, 9 mars 2018, n° 406205 N° Lexbase : A6317XG3) : un intervenant qui ne se considère pas comme un constructeur et qui n’est donc pas assuré comme tel en devient un !

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Fiscalité des particuliers

[Questions à...] La prolongation du dispositif d'abattement au profit des dirigeants de PME partant à la retraite - Questions à Vivien Streiff, Associé Auteuil Notaires

Réf. : Loi n° 2025-127 du 14 février 2025, de finances pour 2025 N° Lexbase : L4133MSU

Lecture: 8 min

N2075B3A

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Le 14 Avril 2025

Mots clés : PME • abattement • retraite • dirigeants d'entreprise • transmission d'entreprises

La loi de finances pour 2025 a prorogé jusqu'au 31 décembre 2031 l'abattement fixe de 500 000 euros sur les plus-values résultant de la cession de titres dont bénéficient les dirigeants de PME partant à la retraite. Pour connaître les éléments constitutifs de cette mesure présentée comme visant à faciliter la transmission des entreprises, soutenir les PME et accompagner la transition des chefs d’entreprises partant à la retraite, Lexbase a interrogé Vivien Streiff, Associé Auteuil Notaires*.


 

Lexbase : En quoi consiste l'abattement fixe de 500 000 euros sur les gains de cession ?

Vivien Streiff : Codifié à l’article 150‑0 D ter du Code général des impôts (CGI) N° Lexbase : L5819M8Z, cet abattement à vocation incitative en vue de favoriser le renouvellement entrepreneurial a pour objet de réduire la base imposable des plus-values réalisées lors de la cession de valeurs mobilières et de droits sociaux (actions, parts sociales ou droits démembrés) par les dirigeants de PME partant à la retraite. Pour cela, un abattement fixe de 500 000 euros vient diminuer le gain net de cession soumis à l’impôt sur le revenu. Cet abattement s’applique quelles que soient les modalités d’imposition (PFU ou barème progressif) mais attention, toutefois, car il ne s’applique pas pour le calcul des prélèvements sociaux. Si donc le contribuable réalise un gain net de 750 000 euros, le gain imposable sera réduit à 250 000 euros et les prélèvements sociaux seront calculés sur une assiette de 750 000 euros.

L’objectif est simple : il s’agit de favoriser la transmission d’entreprises en allégeant la charge fiscale du dirigeant cédant, tout en instaurant des conditions strictes garantissant le caractère incitatif et exceptionnel de ce dispositif.

La bonne nouvelle est venue de la loi de finances pour 2025 (loi n° 2025-127 du 14 février 2025, de finances pour 2025 N° Lexbase : L6315MSP), puisqu’alors qu’il devait initialement s’achever au 31 décembre 2024 ce dispositif a finalement été prorogé jusqu’au 31 décembre 2031.

Deux précisions nous paraissent importantes. Tout d’abord, les conditions relatives au cédant s’apprécient, dans le cas d’un couple marié ou de partenaires liés par un pacte civil de solidarité (PACS), au niveau de chaque conjoint pris isolément. Ainsi lorsque les époux ou partenaires remplissent chacun l’ensemble des conditions, ils sont susceptibles de bénéficier chacun de l’abattement fixe porté ainsi à un million d’euros, le reliquat non utilisé par l’un ne pouvant cependant pas être reporté et imputé sur la plus-value réalisée par l’autre. Ensuite, cet abattement fixe ne se cumule pas avec les abattements proportionnels institués par les articles 150-0 D 1 ter et quater  du CGI dont on rappellera qu’ils sont de 50 % ou de 65 % du montant des gains nets selon la durée de détention des actions, droits ou titres, pour être portés à 85 % pour l’abattement renforcé. Si donc le contribuable souhaite bénéficier de l'abattement proportionnel, il doit renoncer au bénéfice de l'abattement fixe pour la totalité du gain net de cession réalisé. Avant de vendre ses actions, il devra calculer avec l’aide de ses conseils la solution la plus avantageuse pour lui. On peut même imaginer qu’au sein d’un couple, l’un de ses membres ait intérêt à choisir l’abattement fixe alors que l’autre empruntera la voie de l’abattement proportionnel, que ce soit par opportunité ou faute de remplir les conditions pour bénéficier de l’abattement alternatif. Il faut donc anticiper ces questions.

Lexbase : Quelles sont les conditions relatives au dirigeant pour bénéficier de cet abattement ?

Vivien Streiff : Pour bénéficier de l’abattement fixe de 500 000  euros, le dirigeant doit, d’une part, démontrer l’exercice effectif et continu de fonctions de direction durant les cinq années, appréciée de date à date, précédant la cession et, d’autre part, de manière concomitante, cesser toute activité dans la société cédée tout en faisant valoir ses droits à la retraite dans une période qui ne dépasse pas 24 mois avant ou après la cession. Cette condition est déterminante pour garantir que le départ du dirigeant s’inscrit dans un objectif de transition vers la retraite, sans maintien d’une activité pouvant remettre en cause le régime d’abattement.

Rappelons par ailleurs que la fonction de direction doit être effective (gérant statutaire, président, associé en nom d’une société de personne, directeur général, président du conseil de surveillance, ou membre du directoire) et continue dans la société dont les titres sont cédés. Elle est assurée moyennant une rémunération normale en lien avec la nature et l’importance de l’activité de l’entreprise et cette rémunération doit en outre représenter plus de la moitié de ses revenus professionnels dans les catégories imposables (traitements, salaires, BIC, BA, BNC, ou revenus des gérants et associés). Il est important de préconstituer la preuve de l’exercice continu des fonctions par la production de contrats, de procès-verbaux, ou encore de bulletins de salaire.

Enfin, l'abattement s'applique aux gains retirés de la cession à titre onéreux ou du rachat d'actions, de parts de sociétés, ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts. La cession doit porter sur l’intégralité des titres détenus par le cédant ou, en cas de cession partielle, sur plus de 50 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux. Les titres cédés doivent également avoir été détenus depuis au moins un an à la date de la cession. Dans le cadre de cessions échelonnées, le reliquat d’abattement non utilisé lors de la première opération peut être imputé sur celles qui suivent, à condition de respecter rigoureusement les délais et conditions. Cet abattement ne s’applique donc pas à chaque cession mais à l’ensemble des gains afférents à la cession des titres d’une même société. Ainsi, en cas de cession de titres de plusieurs sociétés par un même cédant, l’abattement s’applique pour chaque société.

Lexbase : Quelles sont les conditions relatives à l'entreprise pour bénéficier de cet abattement ?

Vivien Streiff : La société émettrice doit répondre à des conditions strictes liées à sa qualification de PME et à son activité réelle. La société doit être considérée comme une petite ou moyenne entreprise au sens de l'annexe I du Règlement (UE) n° 651/2014 du 17 juin 2014, déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du Traité N° Lexbase : L5604I3X, ce qui implique le respect de seuils précis en termes d'effectifs (moins de 250 salariés), de chiffre d'affaires (ne dépassant pas 50 millions d'euros) et de total de bilan (ne dépassant pas 43 millions d'euros). S’agissant du seuil des salariés, on rappellera qu’au regard de la jurisprudence ne sont par exemple pas pris en compte dans les effectifs d'une entreprise de travail temporaire pour l'application du critère les travailleurs intérimaires qui ont vocation à être placés dans les entreprises clientes de l'entreprise de travail intérimaire

L'entreprise doit en outre exercer une activité opérationnelle (commerciale, industrielle, artisanale, libérale, bancaire ou financière) de façon continue pendant les 5 années précédant la cession que ce soit directement ou par l’intermédiaire de ses filiales.

Elle doit enfin être soumise à l'impôt sur les sociétés ou, le cas échéant, l'imposition qui serait applicable si l’activité était réellement exercée en France, et avoir son siège dans un État membre de l'Union européenne ou dans un pays de l'Espace économique européen. Un audit interne ou externe peut être recommandé afin de confirmer la qualification de l'entreprise au regard des critères européens et des exigences du CGI, évitant ainsi tout redressement fiscal ultérieur.

Les conditions que nous venons d’évoquer doivent être scrupuleusement respectées. À défaut, le montant de l'abattement fixe appliqué à tort constitue un revenu imposable l'année de sa remise en cause suivant les règles de taxation applicables au titre de cette même année.

Lexbase : Afin d'encourager la transmission des entreprises agricoles au profit de jeunes agriculteurs, cet abattement a été porté à 600 000 euros ; quelles sont les conditions dans ce cas pour en bénéficier ?

Vivien Streiff : Là encore, il s’agit de faciliter la transmission des petites et moyennes entreprises agricoles soumises à l’impôt sur les sociétés au profit de jeunes agriculteurs en augmentant l’abattement fiscal applicable aux plus-values de cession à 600 000 euros contre 500 000 euros auparavant. Pour que cet abattement soit applicable aux gains nets, il faut que la cession des titres soit réalisée au profit d’un (ou plusieurs) jeune agriculteur ou au profit d’une société (ou groupement) dont chacun des associés bénéficie de l’aide à la première installation.

*Propos recueillis par Marie-Claire Sgarra, Rédactrice en chef de Lexbase Fiscal et Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

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Responsabilité

[Podcast] Droit de la concurrence vs droit international privé : vers une rupture (brutale) de cohérence ?

Réf. : Cass. civ. 1, 12 mars 2025, n° 23-22.051, FS-B N° Lexbase : A526564R

Lecture: 1 min

N2123B3Z

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Le 16 Avril 2025

► Dans cet épisode de LexFlash, Cédric Dubucq, Avocat à la Cour, Bruzzo Dubucq, revient sur un arrêt remarqué du 12 mars 2025 par lequel la Cour de cassation qualifie la rupture brutale de relations commerciales établies de délit, et non plus d’action contractuelle. Résultat : le juge français, situé au lieu du dommage (le siège de la victime), est compétent pour statuer, même si la relation commerciale est transnationale.

► Retrouvez cette intervention sur Spotify, Apple et Youtube.

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Sociétés

[Commentaire] Convention de trésorerie intragroupe et transfert de dette

Réf. : Cass. com., 12 mars 2025, n° 23-23.961, F-B N° Lexbase : A5247644

Lecture: 9 min

N2107B3G

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par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), Avocat associé CMS Francis Lefebvre

Le 17 Avril 2025

Mots-clés : convention de trésorerie intragroupe • société filiale • société mère • autonomie de la direction et de la gestion • transmission d’une obligation de paiement 

Une société filiale ne saurait être condamnée à payer la dette pesant sur la société mère, dès lors que la convention de trésorerie conclue entre elles stipulait que les parties resteraient indépendantes et continueraient d'assumer de façon autonome la direction et la gestion de leurs responsabilités et de leurs obligations, ce qui excluait que la convention puisse constituer le fondement juridique de la transmission d'une obligation de paiement entre les sociétés, aucun autre élément n'étant versé aux débats rapportant la preuve d'une transmission de l'obligation de paiement.


 

1. Opération de trésorerie / convention de trésorerie. Le Code monétaire et financier encadre les opérations de crédit par ce que l’on appelle le monopole bancaire. Précisément, l’article L. 511-5 N° Lexbase : L2550IXQ dispose en son premier alinéa qu’« il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit ou une société de financement d'effectuer des opérations de crédit à titre habituel », et l’article L. 571-3 N° Lexbase : L4250AP4 sanctionne la méconnaissance de cette interdiction de trois ans d'emprisonnement et 375 000 euros d'amende, l’affichage ou la diffusion de la décision pouvant en outre être ordonnés. Parmi les exceptions apportées à cette interdiction, l’article L. 511-7 N° Lexbase : L1453MMR dispose en son I, que « Les interdictions définies à l’article L. 511-5 ne font pas obstacle à ce qu'une entreprise, quelle que soit sa nature, puisse […] 3. Procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l'une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres ». L’arrêt ici commenté fait usage de ce texte pour fonder la solution qu’il énonce à propos d’une « convention de trésorerie », dont on comprend que la Cour la rattache aux opérations de trésorerie visées par l’article L. 511-7.

2. Trois arrêts de la Cour de cassation en à peine plus d’un mois. L’article L. 511-7 du Code monétaire et financier était déjà au cœur d’un arrêt rendu le 5 février 2025, et publié au Bulletin [1]. On retiendra particulièrement de ce dernier arrêt qu’il faisait une application généreuse de l’exception au monopole bancaire qui résulte du texte précité. L’arrêt commenté, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 12 mars dernier et également publié [2], s’empare à nouveau du texte, et il est doublé d’un arrêt rendu le même jour mais non publié celui-là, qui rejette dans les mêmes termes un pourvoi en cassation formé contre un arrêt d’appel rendu également le même jour que l’arrêt attaqué par la décision sous commentaire [3]. L’arrêt commenté ici, comme l’arrêt non publié du même jour, fait usage de l’article L. 511-7 non pas pour en déduire la soumission ou non d’une opération de crédit au monopole bancaire, mais pour fixer le cadre des relations unissant les sociétés parties à cette convention et un créancier, ce qui est une utilisation originale du texte. On reviendra sur les relations qui unissaient les parties en cause (I) avant de s’intéresser à l’incidence de la convention de trésorerie (II).

I. Les relations unissant les parties

3. Relation tripartite initiale. Au commencement du litige, une société Europe Asset AG était condamnée par un tribunal de commerce à payer des sommes à l’un de ses associés, au titre du compte courant détenu par celui-ci. Il s’agissait manifestement d’une société de droit étranger, mais cet élément n’a pas d’incidence sur le règlement du litige. Afin de procéder au règlement de cette dette, le dirigeant de la société débitrice prenait une décision qui pourrait être discutée mais qui ne l’était finalement pas, puisqu’il autorisait une filiale de celle-ci, la société de droit français SIIE dont il était également le dirigeant, à régler la dette d’Europe Asset AG, ceci « sur le fondement d'une convention centralisée de trésorerie conclue le 13 avril 2018 entre ces deux sociétés » selon les termes de l’arrêt. La date de conclusion de la convention en question, postérieure à la condamnation de la société Europe Asset, était indifférente. La société SIIE procédait quoi qu’il en soit au paiement de la dette de sa mère, mais les chèques que cette société émettaient revenaient impayés. Par la suite, la société mère était placée en liquidation judiciaire le 28 janvier 2020, puis c’était au tour de la filiale de se voir appliquer cette mesure le 18 mai 2021.

4. Identité du débiteur ? L’associé de la société Europe Asset AG déclarait la créance qu’il détenait non pas à la procédure collective de cette société (du moins l’arrêt ne fait pas mention d’une telle déclaration et cette société n’était pas partie à la décision), mais auprès des organes de la liquidation judiciaire de la société SIIE. Le créancier  invoquait au soutien de sa déclaration l’existence de la « convention centralisée de trésorerie ». La cour d’appel saisie du litige rejetait toutefois sa créance [4], ce qui conduisait le déclarant à former un pourvoi en cassation qui est rejeté par l’arrêt commenté.

II. L’incidence de la convention de trésorerie

5. Nature de la convention de trésorerie. Les termes du moyen de cassation donnent des informations sur la convention de trésorerie, mais qui ne sont pas reprises par l’arrêt commenté. La convention en cause, conclue entre la société mère et sa filiale qui auraient constitué « une unité économique », devait leur permettre « de couvrir leurs besoins de trésorerie au moyen de remises en compte courant à vue, la société SIEE ayant mandat de gérer la trésorerie du groupe ». De manière plus certaine, on peut supposer que la convention en question était, comme cela se rencontre, le moyen pour les sociétés contractantes de se procurer du crédit par la mise en commun de leurs excédents de trésorerie, et cette pratique est effectivement rendue possible par la dérogation au monopole bancaire édictée par l’article L. 511-7 du Code monétaire et financier [5]. Mais il n’était ici nullement question de se prévaloir d’une exception au monopole bancaire, étant d’ailleurs rappelé qu’en l’état actuel de la jurisprudence, la contrariété à l’ordre public des opérations réalisées en violation du monopole bancaire n’entraîne plus la nullité des crédits en cause [6]. Reste à comprendre comment il était envisageable que la convention ouvre au créancier d’une société partie le droit de recouvrer sa créance auprès d’une autre société, question sur laquelle le texte cité n’a pas de rôle à jouer.

6. Incidence de la convention de trésorerie : confusion de patrimoines ? La convention comportait une stipulation aux termes de laquelle les parties étaient indépendantes et continuaient d'assumer de façon autonome la direction et la gestion de leurs obligations. On pourrait effectivement concevoir que la convention conclue entre les sociétés d’un groupe aille beaucoup plus loin qu’une mise à disposition de trésorerie ; elle pourrait conduire, en théorie au moins, à donner une gestion unique de leur trésorerie et de leurs paiements aux sociétés parties, qui se trouveraient, de ce fait, exposées à différents risques, dont celui de la reconnaissance d’une confusion de leurs patrimoines au sens de l’article L. 621-2 du Code de commerce N° Lexbase : L3679MBU [7]. Le risque d’une telle reconnaissance en présence d’une convention de trésorerie a été identifié depuis longtemps, et la jurisprudence a répondu à plusieurs reprises à la question, écartant le plus souvent la confusion de patrimoines [8]. Disons que même sans la stipulation affirmant l’indépendance dans la gestion, la caractérisation de la confusion de patrimoines suppose l’identification d’une confusion des comptes ou de flux financiers anormaux, et que la convention de trésorerie permet au contraire de donner aux flux intragroupe un cadre contractuel bienvenu. Mais en dépit du fait que les deux sociétés parties à la convention avaient été placées en liquidation judiciaire, ce n’était pas la confusion des patrimoines qui était invoquée par le créancier pour réclamer à la filiale le paiement de la dette de la mère.

7. Incidence de la convention de trésorerie : transfert de dette ? Il semble en effet que la demande du créancier n’était fondée que sur un transfert de dette (la « transmission d’une obligation de paiement ») qu’il prétendait déduire de la convention de trésorerie. Le rejet de sa demande justifie que la Cour de cassation reprenne deux éléments dans l’arrêt attaqué, après avoir rappelé le contenu de la dérogation au monopole bancaire formulée par l’article L. 511-7 du Code monétaire et financier : (1) la stipulation affirmant que les parties à la convention de trésorerie demeuraient indépendantes et continueraient d'assumer de façon autonome la direction et la gestion de leurs responsabilités et de leurs obligations ; (2) le fait qu’aucun autre élément n'était versé aux débats rapportant la preuve d'une transmission de l'obligation de paiement entre les sociétés. On comprend qu’il n’était pas possible de déduire de la seule convention de trésorerie l’engagement pris par une société partie de payer la dette d’une autre société partie à la convention, sur le fondement d’une cession de dette, d’une délégation ou sur un autre fondement. On retiendra néanmoins le message : la solution aurait pu être différente si la convention avait été rédigée autrement.

8. Autre source d’engagement ? On s’étonnera simplement que la filiale ne soit pas davantage inquiétée au titre de la créance litigieuse, alors qu’il était relevé que son dirigeant lui avait donné l’ordre de procéder au paiement réclamé [9]. Le fait que cette société ait émis des chèques afin de procéder au paiement, et qui étaient revenus impayés, pouvait également fonder la reconnaissance de son engagement, en plus d’ouvrir contre elle les recours cambiaires (C. mon. fin., art. L. 131-47 N° Lexbase : L9416HD4 et s.).

 

[1] Cass. com., 5 février 2025, n° 23-10.953, F-B N° Lexbase : A60416TW, RPDA, février 2025, n° RDA100d4, obs. Th. Duchesne ; B. Dondero, Lexbase Affaires, mars 2025 N° Lexbase : N1903B3U.

[2] Cass. com., 12 mars 2025, n° 23-23.961, F-B , RPDA, mars 2025, n° RDA100g4, obs. Th. Duchesne.

[3] Cass. com., 12 mars 2025, n° 23-23.962, F-D N° Lexbase : A0704679.

[4] CA Paris, 5-9, 26 octobre 2023, n° 22/16446 N° Lexbase : A66251QG.

[5] Sur les différentes modalités et sur les risques liés à la convention de trésorerie, v. not. J.-C. Hallouin, A. Quiquerez et A. Aurisset, JurisClasseur Sociétés Traité, Fasc. 165-50 : Groupes de sociétés – Centralisation de trésorerie.

[6] V. Cass. ass. plén., 4 mars 2005, n° 03-11.725, P N° Lexbase : A2016DH7 D., 2005, p. 785, obs. B. Sousi et p. 836, obs. X. Delpech ; JCP E, 2005, n° 690, note Th. Bonneau ; RD bancaire et fin., 2005, comm. n° 118, note F.-J. Crédot et Y. Gérard ; Banque et droit, 2005, n° 101, p. 69, obs. Th. Bonneau ; JCP G, 2005, II, 10062, concl. R. de Gouttes ; LPA, 2005, n° 113, note M.-M. Veverka.

[7] C. com., art. L. 621-2, al. 2N° Lexbase : L3679MBU : « A la demande de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale ».

[8] V. ainsi écartant la confusion des patrimoines, CA Versailles 2 avril 2002, BJS, 2002, p. 923, note H. Le Nabasque ; D., 2002, p. 3266, obs. J.-C. Hallouin – Cass. com., 16 décembre 2014, n° 13-24.161, F-P+B N° Lexbase : A2755M8K,Dr. sociétés, 2015, comm. n° 136, note J.-P. Legros ; JCP E, 2015, 1122 , note D. Demeyere ; BJE, 2015, p. 83, note Th. Favario ; BJS, 2015, p. 143, note E. Mouial-Bissilana ; P.-M. Le Corre,  Lexbase Affaires, in Chron., janvier 2015, n° 409 N° Lexbase : N5530BUD : « en se déterminant par de tels motifs, impropres à caractériser en quoi, dans un groupe de sociétés, une convention de trésorerie, des activités communes, des contributions financières au profit de la société mère et le fait de présenter une demande de conciliation au niveau du groupe démontreraient la confusion des patrimoines des sociétés ou la fictivité de certaines d'entre elles, seules de nature à justifier l'existence, par voie d'extension, d'une procédure collective unique, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».

[9] V. Th. Duchesne, obs. sous l’arrêt commenté.

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